Le procès du numérique version complète

Le procès du numérique version complète

Rappel: Un exercice de type “procès du numérique” a été mené de manière participative avec les étudiants de #DigitAg lors de la #DigitAgora 2023, avec comme “avocats” F Garcia et V Bellon Maurel, deux des co-auteurs du livre blanc “Agriculture et Numérique”. Il a permis de collecter un certain nombre d’arguments en faveur du développement du numérique et les risques potentiels. Ci dessous sont présentés les arguments identifiés par les étudiants (en gras) et les commentaires faits par les 2 “avocats” (italique).

A) Les arguments en faveur du numérique en agriculture : 

I) PRODUCTIVITE: Amélioration de la productivité, économie de temps, d'argent et de main d'œuvre, et solution au manque de main d'œuvre.

Suppléer l’homme par des outils (numériques ou pas) et automatiser est dans l’agriculture comme dans les autres secteurs économiques un facteur d’accroissement de la productivité du travail. Le bond le plus important a été fait par la mécanisation, pas par le numérique. Les deux axes de gain de temps sont la collecte et la gestion d’informations d’une part (capteurs et systèmes d’information) et la robotique d’autre part. Celle-ci peut répondre aux problèmes actuels de manque de main d’oeuvre en agriculture.   

II) PENIBILITE: Réduction de la pénibilité et des accidents de travail, et augmentation de l'attractivité pour le métier.

Les outils numériques peuvent aider à réduire la pénibilité du travail et la charge mentale des agriculteurs en permettant aux agriculteurs d'optimiser leur temps, en particulier sur les tâches répétitives (robotisation) ou les besoins d’observations. Le numérique peut également conduire à une réduction de l'impact sur la santé des travailleurs, en limitant les risques d'accidents de travail. En améliorant le confort des personnes sur le terrain, en réduisant la pénibilité du travail, les astreintes et les risques d’erreur, et en facilitant la mise en réseau, le numérique peut ainsi aider à rendre l’agriculture plus attractive.

III) RESEAU: Facilitation de la mise en réseau, accessibilité et partage des données, appui à la création de connaissances mutualisables, stockage de grandes bases de données, et aide à la modernisation du secteur agricole.

Le numérique en agriculture facilite la mise en réseau entre agriculteurs, facilitant ainsi le partage de matériel, de données et de connaissances. Cela peut conduire à une démocratisation de l'expertise, et au partage des idées, aidant à moderniser le secteur agricole. En permettant le partage de données - en particulier avec la recherche-, il pourrait contribuer à créer des connaissances mutualisables et généralisables, favorisant la recherche et l'innovation dans le domaine. 

Enfin, en facilitant la communication, les outils numériques permettent une utilisation plus efficace des ressources matérielles (ex: équipement, eau, matière organique) et une réduction des coûts. 

 IV) GESTION: Prédiction et efficacité dans la gestion de la production, appui à l'agriculture de précision, économie de ressources grâce aux traitements tactiques, et optimisation des processus.

La modélisation peut accompagner deux types de prises de décision en agriculture: la décision stratégique, qui concerne la mise en place du système de culture, voire du système de production (par ex. avec des scénarios testant les effets du changement climatique) et la décision tactique qui est prise au cours de l’itinéraire technique. Les leviers pour l’aide à la décision sont de 3 ordres: la description du système (ex: présence d’une maladie au stade 2), la prédiction (ex: la maladie risque de se développer) et la préconisation (appliquer telle dose de tel produit phytosanitaire). Ces démarches aident à optimiser l’utilisation des intrants agricoles et des ressources (eau), et plus généralement les processus et à réduire les coûts. 

V- GAIN ENVIRONNEMENTAL: Réduction de l'impact environnemental, 

Par une meilleure gestion des intrants (eau, engrais et produits phytosanitaires), le numérique réduit l’impact environnemental de l’agriculture, mais il est indispensable de tenir compte des impacts propres au numérique, ce qui est rarement fait. Enfin, c’est surtout sur le levier de la reconception des systèmes qu’il est important de jouer pour avoir le levier le plus puissant de la transition agroécologique, et dans ce cas, les modèles scénarisés pour la prise de décision stratégique pourraient être de bons outils. Enfin, la robotique peut réduire certains impacts environnementaux (sur le sol en particulier) et permettre une meilleure gestion des cultures mixtes.

B) Les risques du numérique en agriculture

IMPACT SUR LE METIER D’AGRICULTEUR

I) Risques de perte de connaissances paysannes héritées, risque de standardisation (des données et des protocoles). 

Ce risque est actuellement avéré: jusqu’à présent, les algorithmes (de l’agriculture de précision) n’intègrent pas ces connaissances. L’intégration des connaissances locales est un point essentiel si on cherche à développer des algorithmes d’aide à la décision en agroécologie, qui doit utiliser au mieux les ressources de chaque milieu.

II) Limitation des interactions humaines, perte de lien humain, baisse de l'observation, et risque de ne pas voir les problèmes.

L'utilisation de technologies numériques en agriculture pourrait entraîner une distanciation entre les agriculteurs, avec une perte du lien physique (ce que l’on peut percevoir depuis la prééminence de la visio-conférence dans les échanges scientifiques), si les échanges se font de manière privilégiée par les réseaux sociaux (néanmoins aujourd’hui, c’est plutôt l’effet inverse qui est vécu en agriculture). Les systèmes de monitoring automatique peuvent aussi éloigner les agriculteurs de leur environnement de travail (image de l’agriculteur “dans un bureau”), entraînant une baisse de l'observation humaine et un risque de ne pas détecter certains problèmes spécifiques.

ACCES

III) Besoin de formation, nécessité de compétences 

L'utilisation des technologies numériques en agriculture nécessite une certaine expertise technique, que tous les agriculteurs n’ont pas. Cela peut créer une fracture entre certains agriculteurs qui seraient exclus, ou un coût de transaction élevé pour les agriculteurs devant se former. Pour réduire ce risque, la mise en place massive de formations adaptées est indispensable

IV) Nouvelles dépenses dues au numérique, coût élevé du matériel spécifique et des outils numériques, 

Le coût du matériel lui-même, celui de la maintenance (qui plus est moins bien maîtrisé) sont parmi les premiers facteurs de non adoption du numérique en agriculture, ce qui contribue aussi à une fracture entre les différents systèmes de production.   

DEPENDANCES

V) Création d’une dépendance au numérique (dépendance technologique), risque de perte d'autonomie.

Les agriculteurs peuvent devenir trop dépendants des solutions numériques, ce qui peut les amener à oublier leur savoir-faire (phénomène de deskilling). Les décisions pourraient être guidées par les critères d’optimisation choisis par les algorithmes et pas par les agriculteurs, créant une perte d’autonomie décisionnelle..

VI) Risque de violation de la vie privée via les données. 

La collecte, le stockage et la gestion des données peuvent poser des problèmes en termes de confidentialité et de protection des données personnelles ou économiques, c’est à dire liées à l’exploitation agricole. Ce problème crée une inquiétude chez les agriculteurs (cf Thèse de Laura Tomasso sur le droit des données agricoles)

PROBLEMES TECHNOLOGIQUES

VII) Risque d’une mauvaise priorisation du développement du numérique et de ne pas répondre à de vrais problèmes.

C’est un risque qui est avéré si les outils ne répondent pas au besoin, par exemple car le développement a été technology-push) ou pas correctement au besoin (y/c avec des algorithmes ou des interfaces mal adaptés). C’est aussi un risque lié à une mauvaise remontée des besoins des agriculteurs. 

VIII) Risques liés aux bugs et aux limites des algorithmes

Ces risques sont liés au fait que l’agriculteur pourrait ne pas être en mesure de corriger les bugs ou même de détecter des dérives ou des dysfonctionnements. Celà crée une dépendance de plus en termes de maintenance.

COUT ENVIRONNEMENTAL ET SOCIAL 

IX) Réduction des externalités négatives de l'agriculture (via l’agriculture de précision) sans remettre en cause le système.

Améliorer l’efficience du système actuel, par exemple via l’agriculture de précision, pourrait être un argument brandi pour ne pas aller plus loin en termes de reconception des systèmes et donc rater les leviers les plus efficaces de la transition agroécologique.

X) Coût environnemental élevé des capteurs et des drones, maintien de la pression sur les ressources, empreinte carbone et augmentation de la consommation énergétique, stockage de données inutilisées, et risque d'effet rebond.

La multiplication des technologies numériques en agriculture contribuera - comme les autres secteurs- à une pression sur les ressources naturelles. Il est donc essentiel de réfléchir au degré d’utilité des outils développés, et s’appuyer le plus possible sur des technologies déjà présentes (ex: téléphones) 

XI) Diminution des emplois, 

Comme dans toute trajectoire d’innovation, certaines activités disparaitront ou se transformeront, à la ferme comme dans l’écosystème agricole (conseil). 

Date de modification : 18 juillet 2023 | Date de création : 05 juillet 2023 | Rédaction : EM