Quelles espèces fourragères utiliser en fonction du sol et du climat pour parvenir à l’autonomie alimentaire des troupeaux ? L’autonomie fourragère des élevages est un facteur de robustesse économique et de résilience face aux aléas climatiques et les prairies à flore variée y contribuent.
Capflor® est un outil numérique d’aide à la conception de prairies à flore variée co-construit avec des collectifs d’éleveurs par l’équipe MAGELLAN de l’UMR AGIR à l’INRA Occitanie de Toulouse. Il s’appuie sur un modèle agro-écologique, des connaissances issues de la recherche et des savoirs agricoles pour produire un conseil efficace.
L’application analyse les conditions pédo-climatiques des parcelles à semer et, en fonction du fourrage souhaité par l’agriculteur (pâturage, fauche, mixte) préconise un mélange de graines d’espèces fourragères adapté à ces conditions et aux besoins des troupeaux. A terme, Capflor® sera aussi un outil collaboratif de gestion et suivi des parcelles de la semence jusqu’au pâturage.
L’application, libre d’utilisation pour les éleveurs, les conseillers et les enseignants agricoles, est accessible sur internet depuis un ordinateur, un smartphone ou une tablette. L’équipe projet revient sur ce résultat de recherche participative et ses perspectives.
A l’origine du projet, il y a les résultats de travaux de recherche sur les prairies semées de l’équipe, la volonté de Laurent Hazard de les diffuser auprès de la profession et son identification d’un verrou pour formuler des mélanges complexes. Vladimir Goutiers, ingénieur agronome a aussi entendu le besoin exprimé par des collectifs d’agriculteurs : disposer d’une liste d’espèces n’était pas suffisant et les conseillers avaient peu de documents auxquels se référer. Pour que le conseil soit efficace, il fallait apporter une formulation complète, avec les quantités de graines par espèce et variété du mélange.
Marie-Hélène Charron-Moirez, coordinatrice informatique du projet, explique le cheminement : « impliquée dans COMPIL, Collectif Midi Pyrénées des Informaticiens développeurs, réseau d’échanges des développeurs de l’Enseignement Supérieur et de la Recherche, j’ai invité Vladimir Goutiers, agronome chef du projet Capflor®, à une conférence que nous organisions. Nous avons discuté de la méthode de conception du logiciel et nous avons fait le choix d’utiliser des méthodes agiles, où les utilisateurs finaux font partie de l’équipe, sont impliqués aux différentes étapes de développement. »
L’idée de valoriser les résultats par la co-construction d’un outil numérique accessible par tous était née. Agronomes et informaticiens se sont engagés pour une revue d’itération en équipe et des décisions communes. Un premier développeur a été recruté pour 3 ans en 2013 et un deuxième vient de rejoindre l’équipe pour développer les nouveaux modules de notation.
L’élaboration de Capflor® comprend 3 étapes : 1/ les modèles agronomiques conceptuel et fonctionnel (avec enquêtes auprès de 46 fermes en agriculture biologique ), 2/ le développement informatique (avec des livrables testés par des groupes d’agriculteurs et conseillers), 3/ un travail direct avec les agriculteurs (remarques et demandes sur le modèle) et développement de nouveaux modules qui intègrent les évaluations des agriculteurs sur les mélanges proposés par l’outil.
Adapter la méthode aux agendas des agriculteurs
« Les éleveurs sont très occupés ! Les principes des méthodes agiles ont été conservés, mais nous avons été très très agiles ! Les itérations ont été adaptées aux agendas des agriculteurs, nous avons réfléchi à un dispositif, théorisé par Laurent, le « processus d’intéressement mutuel » indique Marie-Hélène.
Un pilotage par la valeur apportée aux utilisateurs a été mis en place avec des rendez-vous adaptés : pour un groupe avec une problématique, une journée technique et des essais. Ces regroupements de collectifs d’agriculteurs et de conseillers étaient animés par un conseiller relais. Par exemple, une formation dispensée par Vladimir Goutiers sur la création et l’entretien de prairies à flore variée, suivie d’une démonstration du logiciel avec les retours direct du groupe, et pour clôturer la journée, une rencontre « bout de prairie » (étude chez un éleveur dont la prairie présente un problème particulier).
Vladimir explique : « Nous avons démarré avec un collectif un jour par mois, puis rapidement avec 4 groupes. Nous avions peu de retours durant les premières rencontres, ils sont entrés dans le jeu itératif à partir de la troisième réunion et nous avons pu avancer ainsi. »
Les collectifs d’éleveurs
|
Co-construction de l’outil
Développer le logiciel en réunissant à chaque fois un collectif avec un animateur est une bonne manière de fonctionner. Livrer régulièrement une version outil à des collectifs différents aux problématiques différentes permet de progresser par itérations mensuelles pour l’ajout de fonctionnalités et pour améliorer l’ergonomie.
Le design logiciel a évolué avec les connaissances agronomiques et terrain. Des premiers tests du prototype démarrés dès 2013, il se poursuit depuis la diffusion élargie de l’outil. .
C’est une recherche participative avec de la co-construction, du co-design. Les développeurs aussi sont contents d’être intégrés à l’équipe projet : « on peut parler du sujet, pas seulement du code », et satisfaits de « faire de l’utile utilisé ».
L’évolution : qualifier les mélanges proposés
« Nous avons besoin de retours et de notations sur plusieurs années pour les mélanges proposés, d’enrichir l’outil des connaissances locales de terrain pour faire évoluer le modèle qui génère les mélanges. A terme, ces évaluations seront capitalisées dans Capflor pour constituer une base de données collaborative qui servira à d’autres collectifs. Nous fonctionnons en donnant-donnant avec les différents collectifs, il y a obligation pour tous d’aller au bout pour obtenir un outil opérationnel. », précise Marie-Hélène.
Actuellement la base contient tous les mélanges mis au point dans l’UMR et implantés sur 1300 hectares de prairie soit 640 parcelles. Deux fois par an, une centaine de parcelles sont suivies par les conseillers agricoles et les éleveurs pour qualifier les mélanges : rendement, valeur alimentaire, mais aussi services écosystémiques rendus (utilisation d’espèces qui stimulent la production laitière, qui limitent la pression parasitaire …).
L’ensemble des résultats d’essais de parcelles « grandeur nature » sont traités pour proposer de nouveaux mélanges ou consolider ceux existants. L’analyse de ces données produira un conseil qui sera automatisé grâce aux modules , en cours de développement avec 4 collectifs d’éleveurs . Ces deux modules d’auto-évaluation par les conseillers et les agriculteurs boucleront la boucle. Le premier concerne les proportions des espèces dans les mélanges proposés, le second est une préconisation en fonction des résultats connus et enregistrés pour un mélange donné.
Au final, la base de données constituée sera une vraie base de connaissances collaborative. Les mélanges seront évalués par les conseillers et les agriculteurs, selon les caractéristiques d’une parcelle, la possibilité de leur utilisation sur une autre parcelle . Quand un utilisateur interrogera la base enrichie de toutes ces notations, il aura des informations supplémentaires : « voilà les notes du mélange de graines choisi dans ces proportions », ou bien « les résultats sont mauvais avec le pourcentage que vous avez choisi » annonce Marius Moulin, développeur.
Il n’existe pas d’outil de conseil équivalent. Les collectifs manifestent un intérêt important pour l’application et sont d’accord pour participer et boucler la boucle jusqu’à la préconisation des proportions des différentes variétés constituant le mélange.
Les mélanges Capflor®
Une prairie à flore variée est un mélange semé, complexe, de pérennité supérieure à 3 ans, constitué de plus de 6 espèces (et variétés) d’au moins 3 familles botaniques pour les prairies pâturées (2 familles pour les prairies de fauche). Actuellement, Capflor® comporte toutes les espèces commercialisées inscrites au catalogue fourrager européen. L’outil comprend aussi des espèces natives même si ces dernières sont encore peu mobilisées dans les mélanges proposés, car s’il est difficile de se les procurer, il est aussi important de les faire connaître. Pour concevoir le mélange l’outil applique des filtres successifs : la commune (parcelle), les espèces adaptées au climat de la commune, la précocité du mélange souhaité,, Les critères pédologiques sont pris en compte : acidité, salinité, humidité du sol et de l’atmosphère, fertilité (azote, phosphore…). Le mélange final proposé à l’éleveur est composé de 6 à 14 espèces qui constituent une prairie à flore variée. Les proportions du mélange doivent être déterminées localement. |
Vladimir Goutiers conclut : ‘Utiliser une méthode de développement itérative et incrémentale est intéressante et agile mais peut être difficile à piloter. Les nouveaux questionnements qui apparaissent génèrent de nouveaux développements, il faut fixer les limites, ce qui n’est pas toujours facile, du moins dans le monde agricole. Il faut aussi penser le financement pour une longue durée.
Monter ce type de projet avec des agriculteurs nécessite d’avoir une équipe multi-disciplinaire. Avoir un ingénieur à l’interface entre agriculteurs et chercheurs aide à comprendre leur problématique et à conceptualiser.
Robert McCown a montré que dans 80 % des cas, les modèles issus de la recherche ne sont pas transférés (McCown, R., & Parton, K., 2006). La recherche participative nécessite des relais de terrain si l’on veut pouvoir transférer aux utilisateurs finaux. Dans le cas de Capflor, on pourrait envisager un transfert vers un institut technique ou un bureau d’études pour prendre le relais auprès d’eux et assurer la pérennité de l’outil. Il reste à trouver ! »
Capflor® sur le terrain, témoignages d’éleveurs
Utiliser Capflor®
Site : http://capflor.inra.fr – Page Facebook : https://www.facebook.com/Capflor.Inra
|
Equipe projet : MAGELLAN (Méthodes pour l’Agroécologie et la Gestion LocaLe des ressources Agricoles et Naturelles) est l’équipe pluridisciplinaire de l’UMR AGIR de l’INRA à Toulouse en charge du projet.
|
En savoir plus
Publications de l’équipe
Voir aussi :
|
Capflor® a été en partie financé par le Programme Mélibio (2011-2015) coordonné par le Pôle Agriculture Biologique Massif Central. |